Physiologie horticole du goût sur la Claytonie perfoliée
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    Physiologie horticole du goût sur le Claytonia perfoliata, épinard, oseille, pourpier et salade d’hiver

    Claytonia perfoliata Donn ex Willd.
    Jan Kops (1765-1849)
    L'homme est tributaire de l'habitude. Nous demanderons au lecteur qu'il nous réponde la main sur la conscience: chaque fois qu'un mets nouveau lui a été présenté, il s'en est méfié; une crainte sourcilleuse; s'empare de celui dont l'estomac doit faire une connaissance nouvelle et ce sentiment est trop fondé sur l'amour qu'on porte à soi-même pour ne pas être à la fois raisonnable et très digne de respect. Le bien le plus précieux qu'on ait sur cette terre est celui de bien se porter. Mais aussi nous le demandons avec quiétude : quand la première expérience est faite, la seconde suit sans peine, et au troisième essai, le goût est dans le palais, l'habitude est prise et souvent l'appétit ne fait que croître incessamment. Nous l'avons toujours vérifié ainsi : tel ne souffrait pas les huitres à six ou sept ans qui en raffole à dix-huit et ne peut s'en passer à vingt. Rabelais sur ce point a dit les choses les plus piquantes et les plus épicées, et nous renvoyons volontiers à ses oeuvres.

    Le Claytonia perfoliata rentre tout-à-fait dans ce genre de mets. On le nomme parfois dans notre pays, salade de Sibérie, pour indiquer la facilité avec laquelle cette plante affronte nos hivers les plus rigoureux, et ce nom nous rappelle une anecdote dont la moralité trouve plus d'une fois son application. Nous connaissions un propriétaire antiprogressiste par excellence, à qui il suffisait qu'une plante culinaire fut de nouvelle introduction pour qu'elle lui déplut et qu'il la décriât à coeur-joie. On lui parla de la salade de Sibérie. Elle était jugée et condamnée d'avance; on la lui fit goûter, les pouah ! ne manquèrent pas; c'était la peste, une duperie d'horticulteur de bas aloi. Le printemps arriva, le propriétaire depuis dix ans mangeait des claytones perfoliées dans son potage, avec ses petits pois, dans son fricandeau à l'oseille, il les dégustait avec délices dans sa salade printanière; il s'extasiait sur la claytone, la bonne et prolifique claytone, il s'étonnait de ne pas la voir sur les marchés et se proposait d'offrir une médaille de vermeil, de la valeur d'un écu de cinq francs, y compris la dorure, pour celui qui le premier se fut engagé à venir au marché de la capitale avec de la claytone les trois premiers mois du printemps.
    Quand on lui dit que la salade de Sibérie et la claytone étaient la même plante, il voulut crever les deux yeux à celui qui les lui ouvrit. II cria, fit des paris et puis, les perdit et se tut. L'histoire de la claytone est l'histoire de beaucoup de nos mets.

    La Claytone perfoliée est une plante de la famille des pourpiers, originaire du Canada et de toute l'Amérique du nord, connue seulement en Europe depuis 1794, mais qui a passé et passe encore chez quelques uns pour une espèce de l'ile de Cuba, d'où lui est venu aussi son nom synonymique de Claytonia cubensis, nom sous lequel Bonpland, l'ami et le compagnon de Humboldt, la désignait. Ses détracteurs l'appellent plus volontiers de ce nom de cubensis pour en inférer que, plante de Cuba, elle doit geler. Or, il n'en est rien. Son nom de perfoliée provient de la singulière construction de sa bractée ou feuille florale, qui forme comme un cornet, à travers lequel passe son bouquet de fleurs petites et blanches assez semblables à celles du mouron ou alsine de nos chemins. Les feuilles du bas de la tige sont rhomboïdales, grasses, épaisses, tendres comme les tiges et la bractée.
    évidemment, pour le premier venu, cette plante offre une grande analogie avec le pourpier. On peut la cultiver soit pour l'hiver, soit pour l'été. Pour en faire usage en hiver, il faut la semer en automne, avant les derniers beaux jours d'octobre, et la plante grandit en novembre. Si l'on veut en obtenir beaucoup pendant l'hiver, il suffit de la semer sous châssis et tout l'hiver, elle pullule; on la coupe itérativement trois ou quatre fois et elle ramifie tellement à la base, qu'il est difficile d'en éteindre la vitalité.

    Pour obtenir une récolte suffisante au printemps, on la sème toujours en automne en pleine terre et on lui laisse passer l'hiver. Dès les premiers beaux jours d'avril ou de mai, la végétation est dans son plein; les fleurs blanches éclosent en nombre sous les premiers rayons du soleil du printemps. Les feuilles sont succulentes, grasses et constituent un épinard excellent sans compter ses autres emplois.
    Nous avons employé, car nous parlons d'expérience, une couche de deux mètres et demi de longueur sur un mètre et demi de largeur pour l'usage de cinq personnes à qui l'hygiène commandait de se nourrir de légumes frais. Cette étendue suffisait pour trois mois.
    La claytone de Cuba s'emploie en guise d'épinards: elle se coupe, se hache et se cuit de même: elle l'emporte sur l'épinard par un goût plus farineux, plus gras, plus onctueux, ce qui s'explique, vu que les parties vertes contiennent une très fine fécule, d'un excellent' aspect et que de la gélatine végétale abonde dans les cellules plus que dans le pourpier. Cette dernière raison fait que la claytone se marie admirablement au consommé, au bouillon, au potage vert, à la julienne et aux innombrables variétés des mets auxquels l'habitude des peuples du nord a donné le privilège d'ouvrir l'estomac, tandis que les Napolitains font cette opération avec des saucisses de Bologne et des figues fraîches, de la langue enfumée et des olives passées à la potasse : singulière science que celle de se nourrir et de vivre !
    La claytone est un excellent accompagnement des viandes qui vont de pair avec les légumes verts. Elle est sans fibres, sans peau, sans tissu résistant quelconque : sa consistance la rapproche de l'oseille, mais elle est loin d'offrir les calculs cristallins de cette dernière, elle ne croque pas sous la dent et quand on l'assaisonne d'un tantinet de vinaigre, son goût est analogue si pas meilleur à celui de l'oseille la mieux cultivée.
    Enfin, et c'est ici un emploi de la claytone que nous recommandons à ceux qui attachent quelque prix à vivre sur cette terre le plus longtemps possible, en usant entre de justes limites de toutes les largesses du monde créé, cette plante de l'Amérique du nord, mangée crue, devient une salade très saine, surtout si elle est mélangée de doucette, de choux rouge, d'endives, de scarole. enfin de toutes les salades connues. Elle adoucit toutes ces dernières, leur donne un goût de fraicheur et de printemps des plus agréables et ses feuilles succulentes et pleines de jus féculacé et albumineux, se marient admirablement aux jaunes d'oeuf et en rehaussent l'onctuosité ! Convenablement préparée, c'est une salade de premier ordre.
    Ainsi, cette petite plante peut rendre de grands services. Nous l'avons fait servir dans le potage, comme légume de viandes, comme entremets, comme salade et ce à la satisfaction de convives qui, nous l'avouons, ne doivent être ni moroses par préméditation, ni obscurantistes par système : nous ne nous adressons qu'à des intelligences d'élite dont le jugement est aussi sain que l'estomac et qui n'obéissent pas aux préjugés d'un radicalisme plaçant son ultimatum dans le pain, le boeuf et l'eau. Chez les gens qui savent vivre, et peu le savent, la variété des mets est la sauvegarde de la digestion, partant de la santé.

    La claytone est une plante de facile accommodement pour la culture. Pourvu que le sol soit meuble, qu'il soit terreauté, qu'il offre aux petites racines le moyen aisé de croitre, de s'allonger et de se diviser, le reste va de soi. Aussi un sol sablonneux lui convient-il à merveille et si le sable n'est point le fond du terroir, que celui-ci soit divisé, ameubli, mélangé de terreau, rendu léger, c'est là la condition essentielle.
    Nous l'avons cultivée dans un sol à fond d'argile, mais ameubli par les cendres de ville, nous l'avons confiée au sable de Flandres, amendé de terreau de fouilles et partout la claytone a répondu à notre attente. Les bonnes graines de cette plante s'obtiennent pour quelques centimes le paquet, chez l'excellent grènetier de Bruxelles, M. Rampelberg, qui est toujours assorti de toutes les nouvelles productions.
    On sème à la volée et on plombe avec la planchette; l'eau du ciel ou de la terre, sinon des arrosements modérés, faits à l'arrosoir au pommeau à petits trous, suffisent pour amener une germination qui marche convenablement en peu de jours. Au bout d'un mois, la plante est déjà forte; mais dans le second et troisième mois, elle est en plein rapport.
    On peut alors la couper et le pied repousse en taillant; si les coupes sont successives et faites à propos, la force du pied augmente et l'on fait bien de donner après la première coupe un arrosement sur vert d'un engrais liquide convenable; comme le purin mélangé d'eau aux deux tiers. Cette nourriture contribue à donner aux jeunes rejetons une ampleur plus conforme à la nature succulente et amylacéo-albumineuse de cette portulacée d'Amérique.
    Charles Morren.

    Annales de la Société Royale d'agriculture et de botanique de Gand, page 37 à 40, volume 3, 1847.
    Consultable en ligne à la BHL Biodiversity Heritage Library.

    illustration : planche de Jan Kops dans 'Flora Batava of Afbeelding en Beschrijving van Nederlandsche Gewassen', par F. W. van Eeden, volume 14, édité en 1872 à Leiden, Pays-Bas.
    natacha mauric©23/10/2019 ® Jardin! L'Encyclopédie
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