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Universita di Catania © |
Nom commun : Asperge officinale, Asperge commune, Asperge comestible, nommée par les anglophones 'Asparagus, Spargel', en allemand 'Spargel', Wilder Spargel, Wildspargel'en espagnol 'Esparrago', en italien 'Sparagio'.
Nom latin : Asparagus officinalis L.*, après révision comprend 25 synonymes dont Asparagus esculentus Salisb.*, Asparagus fiori Sennen, Asparagus hortensis Mill. ex Baker, Asparagus littoralis Steven, les autres sont consultables sur .
famille :Asparagaceae, autrefois Liliaceae.
catégorie : vivace mésoxérophile et dioïque à fines et longues tiges rameuses, aux nombreuses racines charnues appelées griffes, qui sont disposées en étoile. Les nouveaux bourgeons, sont munis d' écailles serrées.
port : touffu, dressé, grimpant ou retombant.
feuillage :pas de feuilles, mais des cladodes axillaires filiformes et fasciculés par trois ou six à leur base une écaille membraneuse.
floraison : selon climat de la fin du printemps à l'été courant mai-juillet, sur des pieds mâles ou femelles de minuscules fleurs de 4 à 6 mm, axillaires campanulées pendantes. Les boutons floraux sont ovoïdes au bout d'un fin pédoncule rosâtre.
couleur : jaune pâle verdâtre vers la base.
fruits : des baies globuleuses vertes, rouges ou noires non comestibles, consommées par les oiseaux qui assurent la dispersion des graines noires triangulaires.
Pour avoir des graines il est recommandé de ne conserver que quatre à cinq tiges par pied, en choisissant les plus beaux et mettre un tuteur. La récolte s'effectue fin octobre-début novembre, couper les plus beaux fruits en laissant ceux qui sont en haut des rameaux.
croissance : culture étalée sur trois ans avant de produire pour une même griffe entre sept et neuf ans, pour certaines variétés il est indiqué entre dix et quinze ans.
hauteur : 1,50 m.
plantation : à l'automne préparer à l'avance le sol pour l' assouplir, puis le fertiliser avec un bon compost et de février jusqu'en avril, déposer les griffes en les étalant soigneusement à 25/35 cm de profondeur, en espaçant les rangées de 30 cm et prévoir un tuteur pour repérer l'emplacement puis, patienter durant 2 à 3 ans, pour que les griffes se développent, la première récolte sera de seulement 3 à 4 asperges, et les années suivantes plus ou moins 500grammes par pied.
récolte : manuelle et journalière à l’aide d’une gouge à asperge, elle démarre vers la mi-mars et se poursuit selon région jusqu'en mai-juin, en principe elles sont commercialisées en moins de 12 heures pour être consommées rapidement entre 2 et 3 jours.
multiplication : par semis en poquet de trois, de la deuxième quinzaine de février jusqu'en mars. Compter pour la levée entre trois et quatre semaines ou par prélèvement de griffes d'un an.
sol : plutôt à tendance sablonneux, argilo-sablonneux, riche en humus, humide, mais bien drainé.
emplacement : soleil ou mi-ombre, l'exposition est importante elle permet d'éviter d'avoir un sol froid et humide.
zone : 4-9, U-K Hardiness H4, USDA zones 4a-9b. Tolère aisément -15°C.
origine : dans les lieux incultes et les fourrés mésoxérophiles de l'Eurasie tempérée, présente sur le pourtour du bassin méditerranéen, en Europe méridionale, Europe centrale et jusqu'en Asie occidentale.
L'asperge de nos potagers a été introduite en Italie par les grecs ils la nommait ormenos ou myacantbos puis en France, ce sont les romains qui les premiers ont cultivés et sélectionnés cette fine tige verte au goût amer.
Pline* rapporte que sur l'île boisée de Nisida en Campanie, vers Pouzzoles, près de Naples "les arbres y avaient été peut-être plantés par Lucullus et elle produisait la meilleure variété d'asperges sauvage de la péninsule mais aucun terrain n'est plus favorable à l'asperge que celui des jardins de Ravenne. Cafcon, Columelle et Palladius ont aussi fait connaître comment les Romains cultivaient cette plante.
En France, au début du 19 ème l'asperge est cultivée dans les aspergeraies en Alsace, dans le Val de Loire en Sologne, en région parisienne, notamment autour de la ville d'Argenteuil* où elle est cultivée au coeur des vignobles où elle était présente dès le 18ème siècle l'améliorant et en créant de nouvelles variétés, la plus célèbre étant l'asperge d'Argenteuil une obtention de Louis Lhérault (1833-1894).
Depuis le début du 20 ème siècle la zone de prédilection pour sa culture sont les Landes de Gascogne* où se cultive la blanche asperge des sables et en Camargue dans la région d'Aigues-Mortes où est cultivée dans du sable de mer qui demeure toujours humide, où se cultive la Célestine camarguaise, une asperge à pointe d'un rose violacé.
Elle a été introduite au titre de plante ornementale au Japon durant la période Edo et c'est au cours de la période Meiji, que le Bureau de développement d'Hokkaïdo a commencé à cultiver sérieusement des variétés comestibles, avec une production et consommation locale du premier légume de saison, du 15 mai environ au 25 juin.
entretien : arroser, sarcler, supprimer les mauvaises herbes, effectuer un apport d'engrais organique tous les ans, puis la 2 ème année au printemps les asperges sont butées avec soin sur 20 à 35 cm (il s'agit de l'étiolement) pour obtenir l'année suivante des asperges blanches, moins fibreuses et plus tendres.
A l'automne, avant les premières gelées, les tiges vertes restantes qui ont eu le temps de monter en graines sont coupées et broyées, ce sont elles qui ont permis au système racinaire de se développer durant l'été et qui développeront au printemps suivant de beaux turions.
maladies et ravageurs : les parties vertes peuvent abriter les pontes de la criocère de l'asperge Crioceris asparagi, un insecte ravageur dont les larves dès le mois de mai consomment les cladodes avant de se métamorphoser sous terre. Pour ce ravageur, depuis 2018, les producteurs d'asperges n'ont plus le droit d'utiliser un pesticide, Ils dénoncent une concurrence déloyale des importations espagnoles, n'ayant aucune interdiction. Ils considèrent qu'il faut "Il faut que l'on travaille à armes égales".
Il y a également les larves de la mouche de l'asperge Plioreocepta poeciloptera qui creusent des galeries dans les turions, voir les caractéristiques sur le site de l'Inra.
Comme d'autres potagères, les griffes d'asperge sont sensibles au rhizoctone violet, une pourriture racinaire violette développée par un champignon l'Helicobasidium purpureum*, voir Inra et/ou par celui de la rouille de l'asperge, Puccinia asparagi. En fin de saison elle peut subir les attaques de pucerons Brachycorynella asparagi.
Par temps couvert et humide ou durant les périodes de rosée, la stemphyliose de l'asperge Stemphylium vesicarium qui provoquent des taches sur les cladodes avant leur jaunissement et leur dessèchement et le dépérissement des asperges.
NB : son nom Asparagus vient soit du latin 'asper', soit du grec 'asparagos' qui désigne les jeunes et tendre pousses des plantes, mot qui dérive de 'spargaô' qui signifie plein de sève, gonflé de sève ; 'a' est un préfixe privatif et 'sperma' désigne la semence, parce que, selon Athénée, les plus belles asperges ne sont pas celles qui viennent de graine et lorsqu'il fait beau et chaud, les turions peuvent grandir d'une bonne douzaine de centimètres. Si on laisse, les turions pointer la tête à l’air libre et à ce moment-là l'exposition à la lumière, leur donnent une légère coloration en vert (chlorophylle) et/ou en violet (anthocyanes).
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Asperges vertes |
Il en découle trois sortes d’asperges qui sont différentes non pas par l'espèce ou la variété, mais par leur mode de culture, dans des conditions lumineuses différentes :
- L'asperge verte qui est cultivée à l’air libre en Loir-et-Cher dans la partie solognote de l'autre côté de la Loire c'est l'asperge blanche. C'est la verte qui est consommée en Grande-Bretagne, en Italie ainsi qu'en Amérique du Nord.
- L'asperge violette on a laissé la pointe émerger du sol, s'exposer à la lumière avant d'être couper.
- L'asperge blanche est cultivée sous terre à l’abri de la lumière, les buttes sont enveloppées de bâches plastiques noires, blanches ou transparentes. Dans ce cas, la récolte s'effectue tous les deux jours. C'est cette dernière qui est cultivée en Alsace et au Loir-et-Cher, dans la Beauce, c'est l'asperge consommée en Allemagne. C'est aussi l'asperge hâtive d'Argenteuil* qui a commencé a être planter en 1812.
- Chaque année se déroulent des foires aux asperges dans différents pays, en France et Espagne :
- Fin mai, la ville de Hoerdt ( 67720), département du Bas-Rhin, région Grand Est se transforme en capitale de l'Asperge d'Alsace.
- Associée aux Foulées raimbeaucourtoises, la Foire aux Asperges a lieu à la mi-mai dans la commune de Raimbeaucourt (59283) dans le Douaisis, département du Nord, région Hauts-de-France.
- Le troisième dimanche de mai à Tigy (45510) entre Loire et Sologne, département du Loiret, région Centre-Val de Loire.
- Chaque jeudi de l'Ascension, elle est célébrée, dans la salle des fêtes de Martres-de-Veyre ( 63730), département du Puy-de-Dôme, région Auvergne-Rhône-Alpes.
- Le jour de l'Ascension, foire et concours des producteurs locaux dans la commune de Saint Genest d’Ambière (86221), département de la Vienne, région Nouvelle-Aquitaine.
- Fin avril se célébre l’arrivée de l’asperge sur les tables provençales dans la commune de Mormoiron (84082), département de Vaucluse, région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
- Chaque année, depuis 2004, dans la province de Tarragone, dans la partie méridionale de la Catalogne, chaque deuxième week-end de mars, près du delta de l'Èbre dans la ville de Godall, se déroule la foire à huile d’olive et aux asperges (Fira de l'Oli i de l'Espàrrec).
Ce genre comprend une soixantaine d'espèces de vivaces herbacées originaires des régions tempérées de l'Asie et de l'Europe, sans tenir compte des espèces arbustives les Protasparagus qui sont présentes principalement en Afrique.
Sur le marché mondial de l'asperge plus grand producteur d'asperges au monde est la Chine, au nord dans les provinces du Shandong, Hebei, Hénan, Jiangsu et Shangsi. Compte tenu des différentes zones climatiques, elle produit des asperges toute l'année avec des récoltes s'étalant entre deux à quatre mois, dans le sud la culture est sous plastique avec une récolte qui démarre en hiver et qui s'étale ensuite sur huit mois de l'année.
En Europe, la France et l'Allemagne se disputent la première place européenne, aux États-Unis c'est le Michigan qui est la région de cultures géantes. Le Mexique produit de novembre à mars dans l'État de Sonora. L'Argentine et le Pérou étaient en 2019 des acteurs émergents dans une culture destinée à l'exportation. En 2025, 6 ans plus tard, le Pérou est le premier exportateur mondial d'asperges fraîches ou en conserve, de myrtilles, de quinoa et de raisins. Le Mexique, l'Allemagne, la Chine et la Thaïlande, sont ensuite les autres principaux pays producteurs d'asperges au monde.
Propriétés et utilisations :
Les jeunes pousses de cette forme d'asperge sauvage ont un goût plus prononcé et légèrement amer, elles sont ramassées chaque printemps et elles sont souvent confondues avec les jeunes pousses comestibles du fragon (Ruscus aculeatus) ou celles du houblon sauvage (Humulus lupulus) qui se nomme en occitan Aspargo sarvaigo et en italien Asparagina selvatica. Les turions doivent être coupés à 4 ou 5 cm sous la terre, en attendant d'être cuisinées, elles sont conservées dans l'eau comme des fleurs, en bouquet pointes dressées qui sera bien lavé avant d'être apprêté.
Celles que nous consommons chaque printemps sont réputées être riches en fibres, acides phénoliques, flavonoïdes et vitamines : A, C, B1, B2, B3,B6, B9 et K , également en oligoéléments : calcium, fer, magnésium, potassium et sélénium et surtout, elles sont faibles en calories.
Consommées bouillies, cuites à la vapeur, rôties ou sautées, pour entrer dans la préparation de salades, de fricassées, de frittatas, de quiches, de pains ou de tourtes, d'omelettes ou d'oeufs brouillés aux pointes d'asperges, de soupes, potages ou veloutés, de sautés pour accompagner une viande ou simplement blanchies et servies en entrée, avec juste une vinaigrette, une sauce hollandaise, une sauce chantilly salée ou sauce mousseline ou une mayonnaise.
Les asperges cultivées sont réputées pour leur propriété antioxydante et reminéralisante, diurétique, dépurative et légèrement laxative, prescrite depuis des siècles pour drainer et nettoyer les reins et le foie.
Elles contiennent par ailleurs de l'acide aminé, l'asparagine, qui a une action diurétique et hépatique, elle se dégrade en un composé organosulfuré, le méthylmercaptan qui donnent aux urines une couleur plus prononcée et une odeur soufrée plus ou moins nauséabonde, un mélange d'ammoniac, de chou et/ou d'oeuf pourri.
Odeur largement soulignée par Marcel Proust, dans "A la recherche du temps perdu" à partir de 1906 :
A cette heure où je descendais apprendre le menu, le dîner était déjà commencé, ...
Je m'arrêtais à voir sur la table, où la fille de cuisine venait de les écosser , les petits pois alignés et nombrés comme des billes vertes dans un jeu; mais mon ravissement était devant les asperges, trempées d’outremer et de rose et dont l’épi, finement pignoché de mauve et d’azur, se dégrade insensiblement jusqu’au pied - encore souillé pourtant du sol de leur plant, - par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s’étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d’aurore, en ces ébauches d’arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j’en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum."
Célébration de l'asperge :
En 1959, le collectionneur et mécène Sam Salz (1894 -1981), lègue à la France, la toile intitulée L'Asperge peinte en 1880 par Edouard Manet. Une histoire est rattachée à cette oeuvre qui est présentée ainsi au musée d'Orsay :
"On connaît la charmante histoire de ce tableau : Manet vend à Charles Ephrussi une botte d'asperges pour huit cents francs. Mais Charles Ephrussi lui envoie la somme de mille francs, et Manet, qui n'est pas en reste d'élégance et d'esprit, peint cette asperge et la lui adresse avec ce petit mot : "Il en manquait une à votre botte".
Elle demeure dans la collection Charles Ephrussi jusqu'en 1880, lire la notice complète sur l'oeuvre conservée au musée d'Orsay.
A travers les siècles, des écrivains épicuriens et des poètes ont célébré cette plante potagère. Celui qui est resté dans la mémoire collective des amateurs d'asperges, est :
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Edouard Manet - L'asperge 1880 © Musée d'Orsay |
Le sonnet de l'asperge
Oui, faisons lui fête !
Légume prudent,
C'est la note honnête
D'un festin ardent.
J'aime que sa tête
Croque sous la dent,
Pas trop cependant.
énorme elle est bête.
Fluette, il lui faut
Plier ce défaut
Au rôle d'adjointe,
Et souffrir, mêlé
Au vert de sa pointe,
L'or de l'oeuf brouillé.
Charles Monselet (1825-1888) dans Sonnets Gastronomiques entre la Purée-Crecy* et le Homard page 137-38 dans Les Poésies Complètes; éditeur H.J.Édouard Dentu - 1889, consultable en ligne sur Gallica.
Célébration de l'asperge par Robert J. Courtine
J'aime l'asperge.
Je l'aime depuis toujours et, si je puis écrire, je l'ai aimée avant de l'avoir connue.
Pour le petit parigot que j'étais, ce fut, en effet d'abord, non point un légume vivant mais un bon miam-miam que l'on trouvait en boîte, chez l'épicier.
Avec un peu d'imagination j'en étais arrivé à penser que l'asperge naissait en conserve dans un pays imprécis mais lointain d'où venait aussi l'ananas. Et qu'elle parlait l'américain comme dans les films de cow-boys.
Il a fallu les marchés de mon adolescence pour que l'asperge se dépoétise au rang du chou vulgaire et des petits pois du printemps.
Puis, plus tard encore, un jardin à la campagne, pour que l'asperge-plante prenne corps sous mes yeux éblouis, stupéfaits, inquiets vaguement. Du tertre de sable d'où elle pointait, un matin de mai, timide et rose, à la boîte de Libby's : quel inverse chemin parcouru!
Mais à table, elle dépouillait tout le mystère de ses avatars et redevenait l'amie, la gourmande amie pour laquelle on haussait l'assiette, d'un côté, à l'aide d'un morceau de pain, afin de mieux mêler les éléments du rite dégustatoire ; le sel, le vinaigre, l'huile et le poivre dans l'ordre
Il m'importait peu, alors, de connaître son histoire. Elle était, tout simplement. Et elle était à la vinaigrette, par tradition de famille.
Je n'étais pas à l'âge où l'on sort. Mes parents, mes grands parents, sans doute, avaient eu, chez des amis, au restaurant, la révélation de l'asperge au beurre fondu, à la sauce blanche, que sais-je!... Mais, au foyer, ils revenaient à l'usage (commun aux familles Courtine, Julien, Vannier) de l'asperge-vinaigrette.
Et, qui moins bien est, de l'asperge en boîte!
Mais il ne m'est plus indifférent de savoir, aujourd'hui que mon affection pour l'asperge était partagée des plus grands. Et, dans mes heures immodestes je me répète cette phrase d'un de ses historiens : « Le témoignage de l'histoire nous montre l'asperge entourée de la considération de tous les peuples et de tous les siècles. »
Vous avouerez avec moi que, haussant ce légume au rang de demi-dieu, son consommateur peut y caresser quel qu’orgueil ?
Ici, les renseignements du docteur Henri Leclerc, puisque c'est de lui qu'il s'agit, ne sont peut-être pas d'une exactitude exaltante.
Et faut-il reporter alors sur le papyrus d'Égypte cette adoration juvénile pour l'asperge fausse des offrandes? Non, il n'importe, et qu'elle vienne d'Afrique septentrionale, de Perse, d'Arménie, ou tout bonnement d'Europe, c'est une vieille amie de 2000 ans.
Au fond de moi je puis dire que j'aime l'asperge depuis deux millénaires.
Je l'aime avec les Grecs de l'Athènes triomphante.
On me dit que la simplicité présidait aux repas préparés par les ménagères qui achetaient leur poisson et leurs laitues sur l'Agora, mais qu'y a-t-il de plus simple que l'asperge? Cela n'empêcha point les convives du banquet de Platon, entre deux regards pour les danseuses et les joueuses de flûte et d'habiles digressions, prétextes aux plus subtils colloques, d'ajouter à son nom : asparagos, un qualificatif venant du mot « désir », parce qu'ils la croyaient aphrodisiaque.
Et il est évident qu'elle joua, dans les fastes culinaires de Rome, un rôle de vedette.
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Edouard Manet - L'asperge 1880 © Musée d'Orsay |
Le vieux Caton, qui fut avec son « De re rustica » quelque chose comme le Vilmorin de son époque, nous apprend à la cultiver, tandis que Celse et Galien l'exaltent en tant que médicament. Nous y reviendrons. Ce n'est pas une vedette de la ferme ou de la pharmacopée que je veux saluer d'abord, en elle, mais une étoile de la table.
Si j'avais été l'ami de Juvénal il m'eut régalé, tout comme Persicus, de ces asperges que sa fermière, quittant ses fuseaux, est allée cueillir dans la montagne :
Asparagi posito quos legit villica fuso.
Et je soupçonne celles-ci, sauvages, minces, rustiques d'avoir eu plus de goût que celles cultivées intensivement à Ravenne, et que Pline qualifiait de « prodige de la gourmandise ».
J'aime l'asperge donc, avec les Romains de l'apogée. A la table du Chevalier Apicius, tant amateur de ragoûts de langues de flamands roses qu'il y mêla peut-être, en un jour faste entre les jours, des pointes d'asperges venues, ventres d'esclaves à terre, de Ravenne jusqu'à Minturnes. A celle du boulimique Vitellius. A celle d'Aristoxène qui faisait arroser, chaque soir, avec du vin doux, les laitues — et les asperges? — de son jardin.
J'aime l'asperge quasi inconnue du Moyen Age.
Car soudain, la belle des belles, la complaisante amie du festin de Trimalcion et des repas d'Elagabal disparaît. Produit du luxe et de la paix, les hasards de la guerre la font « rentrer sous terre ». Seuls les habiles horticulteurs que sont les arabes d'Espagne, les musulmans de l'Égypte et de Syrie la cultivent encore et ces pays sont trop loin pour qu'elle vienne fôlatrer aux assiettes d'Ile-de-France.
Mais encore, en France même, timide, affolée, l'asperge s'en est venue se réfugier en quelques cloîtres. Les moines l'ont accueillie en Princesse de la terre et douillettement soignée. Elle ne quittera point leurs jardins préservés, sauf peut-être pour quelques tables cardinales.
Et pourquoi ne l'aurais-je point dégustée en compagnie du « brave » pape Boniface, celui que Daudet nous a montré montant, sur sa mule, jusqu'aux belles vignes de Châteauneuf pour y déboucher entre les myrtes et les souches, quelque flacon de vin glorieux?
Lorsque la brave mule prenait, au retour, un amble sautillant marquant le rythme des tambourinaires, n'était- ce point pour arriver plus vite au souper de ce bon pape d'Yvetot de Provence, souper où les asperges voisinaient quelques melons et des petits oiseaux confits?
J'aime l'asperge triomphante de la Renaissance.
Mme Catherine, qui avait amené à la cour ses cuisiniers et ses astrologues, était gourmande. Elle « cuyda
crever » d'une indigestion de fonds d'artichauds. Son fils Henri III régalait d'asperges ses mignons, à l'indignation des Ligueurs. Qui donc disait que l'asperge avait la tête politique?
Certes, elle était alors fluette, verte, souvent amère.
Peut-être le secret de son éducation s'était-il perdu, mais telle encore elle passait justement pour un mets des plus raffinés — et mystérieux aussi. Rabelais qui la masculinise fait figurer les « salades de asperges » parmi les victuailles sacrifiées par les gastrolâtres « à leur dieu ventripotant .»
Et son Dindenault explique à Panurge qu'elles nais- sent d'un semis de cornes de bélier pulvérisées : « Allez- moi dire que les cornes de vous autres, messieurs les cocus, ayent vertus telles et propriétés tant mirificques. »
J'aime l'asperge royale que la Quintinie plantait pour son maître Louis le Quatorzième. Avec lui elles deviennent sceptre. Elles règnent sur les cuisines comme lui sur la France. M. de Saint Simon n'ose en médire et cette bonne mauvaise langue de Sévigné laisse à sa fille Grignan le soin de comparer l'asperge de Provence et celle de la Cour. Vatel — ce faux chef, ce maussade Maître d'Hôtel, atrabilaire et mal organisé — ne songe point à se passer une asperge à travers le corps plutôt qu'une épée en forme de broche. Ç'eut, pourtant, mieux réussi à ce clown!
Oui, j'aime l'asperge du Grand Siècle et, avec Louis XV, au rendez-vous de la Marquise, je m'en régale encore, d'imaginative. En fait les fameuses asperges « à la Pompadour » ne tiennent que de leur sauce une originalité courtisane et leur splendeur de favorites. Cette sauce est préparée de beurre de Vanvres ou de la Prévalais, d'une demi-cuillerée de fleur de farine d'épeautre, d'une pincée de maïs en poudre, de jaunes d'œufs et de verjus. Elle doit cuire en casserole d'argent ( « France, ta vaisselle d'or f... le camp » ).
J'aime l'asperge aux petits soupers du Régent, d'une dévergonderie si délicate, et je me console de ce qu'elle ait été comme bien d'autres non moins nobles, décapitée par la guillotine des ascètes de la Révolution. La bouche même d'un Robespierre aux lèvres minces, serrées, pâles et froides, est la négation de l'asperge. Oui, je me console de cette Révolution nous vouant au brouet Spartiate et jetant les têtes d'asperges au panier de son, puisque, vingt ans après, l'asperge ressuscitera.
Cependant que le Dieu Carême la promène à travers l'Europe et ses Cours, dans les brouillards de Londres, chez l'Autocrate de Russie, au Congrès de Vienne, chez M. de Rothschild nouveau Roi de ce monde métallisé, ses pointes parent sauces et garnitures comme des gemmes précieuses.
Et nous arrivons ainsi au présent, modelé, ainsi qu'il se doit, des souvenirs du passé. De son pinceau finement trempé
d'arc-en-ciel l'asperge inscrit encore, au fil des printemps, sa légende.
C'est ainsi que je l'aime.
J'aime l'asperge donc, avec les Romains de l'apogée.
A la table du Chevalier Apicius, tant amateur de ragoûts de langues de flamands roses qu'il y mêla peut-être, en un jour faste entre les jours, des pointes d'asperges venues, ventres d'esclaves à terre, de Ravenne jusqu'à Minturnes. A celle du boulimique Vitellius. A celle d'Aristoxène qui faisait arroser, chaque soir, avec du vin doux, les laitues — et les asperges? — de son jardin.
La suite chez votre libraire.
Cette célébration de l'asperge de Robert J. Courtine, Compagnon de l'Asperge d'Argenteuil est dédiée à Jean Desmurs qui a réponse à tout, a été composée et imprimée par les imprimeries réunies de Chambéry, et reliée par Prache de Franclieu à Choisy-Le-Roi, pour la réunion, en mai 1965, à Argenteuil.
Lecture: Des asperges d'Argenteuil et de leur origine, par V.-F Lebeuf*, publié en 1867, consultable en ligne à la Bnf.
Bulletin mensuel de la Société agricole et horticole de l'arrondissement de Mantes, édité l 01 mars 1913 : Conférence sur la Culture des Asperges d'Argenteuil par M. Edmond Juignet - Horticulteur-asparagiculteur, à Argenteuil, consultable en ligne à la Bnf.
( Seine-et-Oise).
Annotations :
*Argenteuil, son vin était renommé depuis le 13 ème siècle où il était présent sur les tables royales de France et d'Angleterre et à la fin du 18ème siècle elle était classée comme la première ville viticole ayant des vignes au plus grand rendement à l'hectare. Depuis 1996, des plants de Pinot noir et de Chardonnay ont été replantés et sont entretenus au titre du patrimoine rural de la ville d'Argenteuil, réputée aussi dés le 16ème siècle pour ses variétés de figues dont la blanche d’Argenteuil, l'urbanisation massive les cantonnent de nos jours plus que dans dquelques jardins particuliers.
*Courtine, Robert Louis Courtine (1910-1998) auteur et journaliste gastronomique français, qui a plusieurs pseudonymes, dont Marc Airelle, Marc Aurelle, Roger Charmoy et celui de Jean-Louis Vannier sous lequel il a écrit des publications antisémites dont une avec le polémiste antisémite Henry Coston (1910-2001).
*Edo, la période Edo va de 1603 à 1867, Edo est le nom, d'un hameau perdu dans la plaine de Mussashi appartenant à une famille de guerriers du même nom, qui, y fit construire, un château, autour duquel, se développe, une agglomération, c'est le Shogunat des Tokugawa, qui ferme le Japon, aux influences étrangères. Les Européens sont expulsés et le christianisme est réprimé, lorsque l'ère Tokugawa s'achève, Edo est rebaptisée Tokyo, consulter cette période sur herodote.net.
*Gascogne, l'asperge des sables des Landes à obtenue en 2005, l’I.G.P. c'est à dire l'Indication Géographique Protégée, garantissant ainsi aux consommateurs, son origine landaise, attribuée au département des Landes en entier et autres départements limitrophes sous le nom "Landes de Gascogne" par l’arrêté du 5 novembre 1945 du Ministère de l’Agriculture, correspondant à une plaine sablonneuse qui s’étend sur plus d'1,4 millions d’hectares.
*Lebeuf V.-F, il est l'auteur de Culture et traitement de la vigne, ou guide du vigneron et de l'amateur de treilles (1863) et de Culture des champignons de couches et de bois et de la Truffe, publiée à Paris, Roret libraire et éditeur en 1867. Ouvrage disponible à la commande chez Hachette.Bnf.
*L., abréviation botanique pour le médecin, botaniste-naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778), auparavant Carl Linnaeus, à qui l'on doit la classification des végétaux, des minéraux et des animaux et la nomenclature binomi ale, basée sur la juxtaposition de deux mots en principe en latin, désignant le genre suivi du nom de l'espèce, c'est la base de la taxinomie et de la nomenclature internationale.
Durant ses études de médecine, il entame la réalisation d'un herbier de la flore de Laponie qui sera suivie d'un parution 'Flora lapponica'. Il enseigne à l'Université d'Uppsala durant une année, à partir de 1741, la médecine, puis la botanique jusqu'en 1772. Il est le fondateur de l'Académie des sciences de Suède.
*Meiji l'ère Meiji de 1868 à 1912, c'est le règne de l'empereur Mutsuhito (1852-1912) qui démarre après l'abdication du dernier shôgun Tokugawa Yoshinobu en décembre 1867. C'est la grande période de modernisation accélérée du Japon et celle de la société avec l'ouverture aux influences des puissances occidentales, comme l'école obligatoire et l'industrialisation. Et c'est l'affirmation de sa présence et puissance sur la scène internationale et l’abolition des anciens statuts sociaux.
*Pline, naturaliste et écrivain Pline l'Ancien (23-79 après J.C), en latin Gaius Plinius Secundus, auteur de l'Histoire naturelle, les livres XII à XIX sont dédiés à la botanique, et les livres XX à XXXII dédiés à la médecine, ce sont de précieux recueils sur les sciences en général et de l'art de guérir à partir des ouvrages de différents écrivains et médecins qu'il a lus et compilés.
L'ouvrage de référence qui durant des siècles a été considéré comme le symbole du savoir humain. Il est également connu sous le nom de Pline le Naturaliste.
*Purée-Crécy, traditionnellement, il s'agit d'une purée parmentière aux carottes et aux pommes de terre.
*Rhizoctone violet ( purple root rot) qui affecte un grand nombre de plantes potagères, mais plus spécialement affecte surtout l'asperge, la betterave et la carotte.
*Salisb., abréviation botanique pour le botaniste britannique Richard Anthony Salisbury (né Markham) (1761-1829), un homme ayant eu un passé financier peu scrupuleux, qui fut un farouche opposant à la nomenclature de Linné, boudé par un bon nombre de ses contemporains, rejeté par ses confrères botanistes lorsqu'ils découvrirent qu'il s'était approprié l'oeuvre d'un autre botaniste.
natacha mauric © 02.10.2000 ® Jardin ! L'Encyclopédie
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